En 1967 à New-York, une femme en pantalons ne déjeune ni ne dîne dans un restaurant chic. Il existe mille et une raisons de lui en interdire l’accès : le devoir de dissociation des genres ; la non présentation d’une autorisation préfectorale (selon l’ordonnance de 1800) ; « parce que c’est vulgaire »… Partant de ce constat déjà rétrograde pour l’époque, Loo Hui Phang et Benjamin Bachelier nous entraînent dans une déambulation urbaine à la fois admirable et érudite. Dans le sillage de Saint Laurent et de son égérie, Betty Catroux, vêtue d’un seul smoking, LE smoking, l’iconique, c’est l’histoire du vêtement féminin qui est passée au crible de la sagacité teintée d’ironie des dialogues de Phang dont on adore définitivement la finesse. Car chez elle, l’écriture passe toujours par le dialogue et si elle convoque, dans la dispute qui oppose visionnaires et réactionnaires, Coco Chanel, Rrose Sélavy, Paul Poiret et bien d’autres, la gageure qu’occasionnent rencontres atemporelles tient de l’hommage rendu aux créatrices et créateurs qui ont entendu l’exigence des corps et qui ont permis aux femmes de s’affranchir du carcan vestimentaire dans lequel l’Histoire des hommes les avaient engoncées. À la manière d’un haut-couturier, Bachelier a élaboré la forme du livre en assemblant des pièces. Les pages sont foisonnantes de couleurs, de collages, de patchworks échappant à la rigidité d’une mise en page soumise aux cases. Il fallait bien cette liberté époustouflante pour accompagner l’avant-gardisme du travail de Saint Laurent, qui favorisa son succès… et provoqua parfois les diatribes.