Attaquons bille en tête : on est ravi de retrouver l’élégance intrinsèque au trait de Grégory Charlet. Il nous avait époustouflé avec Le Carrefour, où son dessin mettait parfaitement en valeur cet été apathique, l’ambiance étouffante de la canicule et des secrets de famille larvés qu’avait imaginés Arnaud Floc’h.
On était tout aussi heureux de le savoir collaborer avec Philippe Charlot sur le diptyque des Sœurs Fox. Notre mémoire avait flouté le souvenir du premier tome, et on doit bien avouer pour forcer le sensationnalisme de notre petite chronique qu’on s’est pris une bonne grosse baffe dans la mouille.
Brisons l’omerta : en temps que libraire, on utilise le terme « élégant » comme un pis-aller, un joker, un terme rapide, qui sonne bien et a une connotation positive pour draper des qualités du terme un sens de l’épure qui va à l’essentiel, ou qui n’est pas beau de prime abord.
C’est notre malédiction, car ce terme perd de sa substance dans nos argumentaires, dès lors où il s’agit de mettre en lumière une vraie élégance. Un vrai savoir-faire, une vraie maestria.
On va tenter d’utiliser une métaphore, à travers l’Art nouveau : c’est le même genre de réaction émotionnelle qui est provoquée ; on voit bien que le tout est parfaitement réfléchi, lisible, exécuté avec grand soin et patience et témoigne d’une grâce savamment mise en place mais qui semble parfaitement naturelle.
Voilà, après ça, on a épuisé notre stock de lustre.
Nous sommes à court de ressources pour vous témoigner combien on a apprécié la lecture de cet album, combien sa beauté graphique nous a conquis (cf. la grosse baffe dans la mouille).
Faisons feu de tout bois : les sœurs Fox font partie de cette catégorie de personnages de fiction pour lesquels, irrémédiablement, on a une sorte de béguin. Ca peut sembler crétin, on en voit même quelques-un(e)s qui pouffent derrière leurs écrans, mais qui n’est jamais tombé amoureux(se) d’un personnage de fiction ?
On en revient au travail de Charlet-sensei (feu de tout bois on vous a dit) dont le trait met en valeur cette beauté vénéneuse des deux sœurs qui vous chope malgré vous, malgré le fait que vous sachiez qu’elle ont une réputation sulfureuse.
Et on vient de parler de la forme, mais le fond dont est responsable Philippe Charlot, est lui aussi à saluer : c’est ce décor d’Amérique de la fin du XIXe, où l’imaginaire du parapsychique, et des théories un peu fofolles mais à vraie volonté scientifique fleurissaient et tentaient de faire bouger le schmilblick. Une sorte de moment qu’on pourrait qualifier d’americana goth, où les sorcières ne sont jamais loin, mais on voit bien que les sœurs Fox pigent bien que le glas de leur gloire sonne rapidement après avoir tutoyé la haute, et que leur lente déchéance ne fait que mettre en lumière leur vulnérabilité, leurs erreurs et leur doute. Et elles n’en sont que plus attachantes.
Bref, une de ces lectures qui vous hantent (oui, c’est un jeu de mots) et vous laisse une sensation prégnante même quelques jours après l’avoir lue.
Si vous aviez le un, le deux s’impose bien et si vous n’en aviez aucun, on vous mettra le coffret dans les mains !