Dans les années 90, Blutch était salarié de Fluide Glacial. Il y publiait quelques pages chaque mois, parmi lesquelles se trouvaient les histoires courtes compilées dans ce livre. L’idée, quoique fort simple (transporter le magazine qui l’emploie dans une autre époque, l’entre-deux-guerres, et pervertir son objectif humoristique en en faisant un ersatz de l’Almanach Vermot), se révèle à ce point géniale qu’elle a pour effet de provoquer presque simultanément le rire et la gêne. L’autodérision (à commencer par l’incarnation du personnage éponyme en un épouvantable pisse-copie auto-satisfait), la mise en boîte des membres de l’équipe Fluide à travers sa hiérarchie et les habitudes de ses auteurs, les clins d’œil à la réalité socio-politique de l’époque participent à différents niveaux de cette ambivalence. Réussir à garder l’équilibre entre la finesse des allusions – et des décryptages psychologiques – et le grotesque des situations qui conduit le lecteur à se sentir mal à l’aise vis-à-vis des mensonges et des trahisons qui régissent les rapports entre les personnages tient d’un numéro de haute voltige mais ça, Blutch nous a habitués à apprécier depuis quel trapéziste il était.