Avec Le Dernier Sergent (t.1 Les Guerres immobiles) et après vingt ans de coupure, Fabrice Neaud poursuit son travail autobiographique avec la même ténacité que celle qui l’avait fait accoucher des huit cents pages et quelques des journaux qui avaient révélé son talent dans les années 90 et 2000. L’auteur est opiniâtre, courageux, et ses livres, miroirs d’une ligne de conduite radicale exprimée dans le cadre d’un gaufrier qui n’offre pas plus de concession à la page que Fabrice à lui-même ou aux autres, en témoignent. Oui, pour faire œuvre de sa vie avec autant d’honnêteté, d’humilité, de volonté de toucher sa propre vérité sans travestissement, il faut beaucoup de courage !
Les Guerres immobiles se situe dans le prolongement chronologique de Journal I, II, III et IV, soit à la fin des années 90. Les deux décennies qui séparent l’action et le récit qui en découle s’unissent en un dispositif de mise en abyme ingénieux puisque le décalage temporel entre la chose vécue, cœur de la narration, et la choses écrite, alibi de la digression, place le narrateur sur un siège d’arbitre ou, mieux, dans la position de démiurge de son propre destin, planant au-dessus de son effigie comme on regarde un Lego se débattre dans le tourbillon de l’hostilité du passé avec le regard distancié que peuvent procurer l’expérience, la connaissance, les certitudes et, pourquoi pas, la sagesse.
Neaud est un dessinateur inspiré qui s’exprime sur un fil où l’équilibre devient vite déséquilibre, l’illustration parfaite d’une existence passée au seuil de la précarité, quand l’espoir est toujours mis à mal par la terrible réalité. Mis en lumière par un noir et blanc somptueux, presque religieux tant il est habité, tant il flirte avec l’allégorie, les mots que Neaud ne retient pas et dont on sent toute l’ambition littéraire ont un effet hypnotique qui envoûte autant qu’il effraie.