On connaissait les comédies américaines de l’Âge d’or hollywoodien, celles de Lubitsch, Capra ou Billy Wilder, capables de conjuguer à toute allure le burlesque et les sentiments. Voici une comédie danoise dont le principe repose sur le même alliage, à la différence qu’il s’agit en ce qui nous concerne de bande dessinée et que Copenhague, en se jouant de façon espiègle des contes fondateurs, fait preuve d’une sacrée modernité. Le confinement à moitié forcé que s’offre Anna Miller dans la capitale danoise ressemblera au doigt qu’on laisse happer par l’engrenage. L’engrenage en l’occurrence s’appelle Thyge Thygesen – il faut imaginer le fils de Gene Wilder et de Bill Murray – et ne laisse à Anna aucune seconde de répit. N’était-ce pas ce brin de folie qu’elle était venue chercher au Danemark quand il y pensait dans son bain ? Ce livre est à ranger à côté de La Fuite du cerveau de Pierre-Henry Gomont tant ces deux-là partagent le sens de la dérision et le rythme haletant d’une course-poursuite improbable. Et, en toute honnêteté, réussir avec autant de virtuosité le pari si casse-gueule de la comédie relève d’une telle performance que l’on ne peut qu’applaudir deux fois Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg !

Rarement un album m’aura fait vivre autant d’émotions. Sur une idée de départ un peu folle et faussement fantaisiste, le meurtre d’une sirène à Copenhague, l’histoire concoctée par Anne-Caroline Pandolfo va vous faire virevolter à travers plusieurs genres. Ce qui n’aurait pu être qu’un polar de plus devient un récit multicolore. Pour l’arrivée d’Anna, cela commence littéralement en fanfare, dans un désordre joyeux, alors qu’elle se fait amener en taxi à son hôtel. C’est là qu’elle fait la connaissance du fantasque Thyge. Ainsi plusieurs fois au cours de l’histoire et grâce ce dernier, une ambiance burlesque va bizarrement cohabiter avec le déroulement de l’enquête que vont mener nos deux compères. Vous passerez ainsi du rire d’une comédie (romantique ?) à la tension des polars à l’ancienne, le tout saupoudré d’une ambiance étrange à cause d'une secte et de son gourou. Bien sur le choix de la victime n’est pas anodin. Nous pourrions très bien y voir en filigrane une critique de notre monde. L’accès constant à l’information et à la désinformation met ainsi en avant sa cruelle réalité, laissant de moins en moins de place au merveilleux dans l’esprit des Hommes. Cette histoire est servie par le dessin incroyable de Teskel Risbjerg qui renforce encore plus cette ambiance à la fois mystérieuse et un peu folle. Je suis toujours bluffé par son dessin et l’expression qu’il peut mettre dans le visage de ses personnages, tout ça en quelques traits. Le duo scénariste/dessinateur fonctionne très bien. Nous avons déjà pu les voir, entre de nombreux autres tous aussi excellents, sur un autre polar passionnant et mystique : Le Don de Rachel. Tentez cette aventure, vous y trouverez à la fois un peu de David Lynch, Quentin Tarantino et des frères Cohen. Un roman graphique délicieux ….