La bande dessinée chez Blutch substitue à notre regard un monde qui s’accorde aux désordres du rêve. Blutch, dans le sillage de Fellini ou Godard, construit son œuvre dans l’édification d’un ensemble en apparence désarticulé mais au sein duquel se structure et résonne l’invisible. La Mer à boire s’impose dès lors comme une nouvelle pièce de la recherche d’un temps renversé dont Vitesse moderne et Lune l’envers figuraient des échos présents, passés ou futurs. 

Plus sensiblement que les époques qui s’y confondent, l’amour s’affirme entre les cases de La Mer à boire comme le dernier élément tangible d’une réalité qui s’estompe, jusqu’à la réduction à son essentiel : la fusion entre A et B, le B n’étant autre que le prolongement virtuel de l’auteur. Celui-là actionne les aiguillages de son rêve à sa guise, comme un dormeur dirige un récit nourri de son expérience, fût-elle futile ou déterminante. Et s’il contourne les évidences, escamote les boulevards et fait du désert une ville, l’invisible nous sollicite au travers d’un miroir nous renvoyant à notre propre image.

Blutch n’écrit pas d’histoires, il fait de la bande dessinée.