David Mazzucchelli est un auteur rare. Un peu comme son personnage Asterios Polyp qui, dans sa vie de théoricien de l’architecture ne verra pas un seul de ses plans construit, l’Américain ne se livre que par bribes. Aussi, depuis la publication de son chef-d’œuvre en 2009, David ne donne plus de nouvelles… Osons gager que les prochaines seront bonnes.

Asterios Polyp est un livre labyrinthe dont les clés se dessinent à mesure que les flash-back s’égrènent. Il obéit par évidente capillarité, dans ses bichromies et dans la structure des pages où les cases s’opposent aux scènes qui s’en affranchissent, à la dichotomie entre lignes et formes énoncée par Astérios lui-même comme principe de l’architecture. Ainsi, au même titre que les concepts, les personnalités s’opposent non seulement par la force (ou la faiblesse) de leurs caractères mais par une singularité que traduisent motifs, couleurs et polices. La difficulté de communication des êtres, renforcée par les points de vue péremptoires de l’« architecte de papier », s’explique aussi par l’absence, le « chaînon manquant » ; la perte d’une partie de soi, en l’occurrence le jumeau mort-né d’Asterios, conduit chacun à la recherche – parfois vaine – d’une moitié satisfaisante.

Asterios parviendra à la sérénité en s’acceptant enfin, en prenant possession de ce contraire qu’il avait toujours réfuté. Bien entendu, un accomplissement s’accompagne toujours du témoignage d’un destin ironique lié à la grande ordonnance cosmique… Ce livre se relit régulièrement, il constitue l’un des piliers d’une bédéthèque digne de ce nom.